L’adoption par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles du décret portant les livres 1er et 2 du Code de l’Enseignement fondamental et de l’Enseignement secondaire, et mettant en place le tronc commun concrétise non seulement la refondation du continuum pédagogique en l’allongeant d’une année, mais est également porteur d’une série d’évolutions et de clarifications. Cet article met en évidence quelques-unes de ces modifications apportées à la législation scolaire.
La fin de la prescription de la pédagogie des compétences
Il apparaît important de souligner que la réforme du tronc commun s’accompagne d’une volonté de ne plus prescrire une pédagogie particulière – la pédagogie des compétences –, mais de distinguer le quoi qui relève des référentiels et le comment qui relève de la liberté des méthodes pédagogiques.
Ainsi, l’article 8 du Décret « Missions » précisait jusque maintenant que « Pour atteindre les objectifs généraux visés à l’article 6, les savoirs et les savoir-faire, qu’ils soient construits par les élèves eux-mêmes ou qu’ils soient transmis, sont placés dans la perspective de l’acquisition de compétences ». Cette formulation laissait clairement entrevoir une forme de hiérarchisation entre les savoirs et les savoir-faire qui n’étaient plus considérés que dans la seule finalité de l’acquisition de compétences.
La réforme entend procéder à un rééquilibrage entre les savoirs et les compétences en redonnant à chacun de ces éléments sa juste place au sein des apprentissages de l’école. Les savoirs et les savoir-faire ne peuvent être considérés comme de simples ressources qu’il serait inutile d’apprendre pour elles-mêmes. Le mythe des “digital natives”, entretenu pas une lecture trop rapide de certains ouvrages, tels que “petite Poucette” de Michel Serres, a laissé penser que l’apprentissage de ces savoirs deviendrait superflu avec l’apparition de la masse d’information accessible au bout d’un terminal connecté à l’Internet. Cette vision simpliste et fausse oublie deux éléments importants : d’une part, une information disponible n’est pas une connaissance propre d’un individu, et d’autre part, face à la profusion d’informations erronées, incorrectes, déformées, la constitution et l’acquisition de connaissances propres sont plus que jamais nécessaires. En effet, ce sont les connaissances enseignées et ancrées au sein de chaque individu qui alimentent et renforcent la capacité de déclencher ce signal d’alarme nommé esprit critique face à une information. Ceci, d’autant plus fortement que l’information présentée entre en conflit avec nos connaissances intériorisées. Sans cette base minimale de connaissance, nombre d’informations fausses véhiculées sur les réseaux sociaux pourraient être prises pour réalité et devenir un levier de manipulation important. Un autre argument peu entendu est également celui d’assurer l’indépendance technologique de la pensée de l’être humain.
Au-delà de ces considérations liées à la révolution numérique dans laquelle nous baignons, il faut également mettre en évidence l’intérêt et les bénéfices à partager des savoirs et des savoir-faire communs. Ces éléments permettent de bâtir une culture commune et des repères partagés, qui consolident les relations au sein d’une société.
C’est pour ces raisons, et afin de marquer l’importance tant des savoirs, des savoir-faire que des compétences, que le successeur de l’article 8 du Décret « Missions » a été profondément revu de la manière suivante :
« Article 1.4.1-2. Les savoirs, les savoir-faire et les compétences sont placés dans la perspective de ces missions prioritaires. Ils assurent l’acquisition de connaissances constitutives d’une culture commune, de clés de compréhension et d’actions sur le monde, d’aptitudes et de savoir-être citoyens (…) » en lien avec les missions prioritaires réactualisées, suite au débat parlementaire, par rapport au Décret « Missions » et formulées comme suit : « Art. 1.4.1-1. La Communauté française, les pouvoirs organisateurs et les équipes éducatives remplissent simultanément et sans hiérarchie les missions prioritaires suivantes : 1° promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves ; 2° amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et des savoir-faire et à acquérir des compétences, dont la maîtrise de la langue française, qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la
vie économique, sociale et culturelle ; 3° préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste, respectueuse de l’environnement et ouverte aux autres cultures ; 4° assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale. »
Un travail a également été mené sur les définitions des différents concepts pédagogiques. C’est ainsi que la définition de compétence se retrouve inchangée et reste « l’aptitude à mettre en œuvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être permettant d’accomplir un certain nombre de tâches », mais le concept de « tâche » a été défini de la façon suivante : « l’activité proposée à l’élève visant à initier, entrainer ou évaluer un apprentissage particulier ou un ensemble d’apprentissages intégrés ». Il ne s’agit donc pas nécessairement d’une tâche « complexe ».
De nouveaux référentiels
Le code de l’Enseignement obligatoire modifie aussi profondément l’approche en matière de référentiels. En effet, jusqu’à maintenant, le tronc commun visait l’acquisition d’un Socle de compétence formulé de façon peu précise et avec peu de repères quant à ce qui devait effectivement être enseigné et quand. Cet élément étant laissé aux programmes.
Désormais, un changement majeur s’est opéré dans la distinction entre référentiels et programmes. En effet, les définitions légales ont été revues afin que les référentiels comprennent la prescription des contenus d’apprentissages à enseigner. Observons ces nouvelles définitions :
- « référentiel : le référentiel présentant de manière structurée les savoirs, savoir-faire et les compétences à acquérir dans une discipline ou plusieurs disciplines ; »
- « programmes d’études : l’ensemble d’orientations méthodologiques, de dispositifs et de situations pédagogiques, intégrant les contenus d’apprentissage, c’est-à-dire les savoirs, savoir-faire, et compétences, et les attendus définis dans les référentiels visés au Titre 4, Chapitres 2 et 3 ; »
Le commentaire des articles relatif à la définition de programmes d’études présent dans les travaux parlementaires apporte un éclairage complémentaire en indiquant que « cette définition reprend celle de l’article 5, 15°, du Décret « Missions », moyennant une reformulation visant à assurer le rééquilibrage entre compétences, savoirs et savoir-faire, et à renvoyer aux référentiels et attendus annuels qui résultent notamment de l’approche tronc commun. Cette définition mentionne l’obligation d’intégrer les contenus définis par les référentiels, tout en permettant d’identifier des éléments complémentaires susceptibles d’être abordés dans des activités de dépassement. Cependant, les évaluations sur la base desquelles les équipes pédagogiques décident du passage ou du maintien d’un élève dans l’année en cours ne peuvent porter que sur des contenus et des attendus définis par les référentiels. »
Les référentiels déterminent donc le « Quoi » enseigner alors que les programmes d’études identifient le « Comment » l’enseigner. Cette clarification importante sera probablement un levier majeur contribuant à un meilleur alignement entre le curriculum prescrit par les référentiels, le curriculum effectivement enseigné et in fine, le curriculum évalué. Ce réalignement, devrait contribuer, à l’instar de ce que Biggs a identifié dans ses travaux, à une amélioration significative de notre système éducatif.
Les référentiels adoptent une nouvelle structuration, plus précise, par année. Ils identifient d’une part les contenus d’apprentissages à enseigner (tels que définis par le Décret comme : « l’ensemble de savoirs, savoir-faire et compétences identifiant les contenus à enseigner pour une année d’étude donnée ») par l’enseignant, ce qui lui permet d’identifier les concepts, les éléments à enseigner et d’autre part chaque contenu d’apprentissage est placé en regard d’attendus dont le Décret nous informe qu’ils indiquent « le niveau de maitrise des contenus d’apprentissage visé pour les élèves au terme d’une année donnée ou d’un curriculum. La maitrise des attendus au terme d’un curriculum donne lieu à la délivrance d’un certificat ». Un curriculum désignant un ensemble d’années d’étude formant un parcours d’apprentissage dont la réussite est attestée par la délivrance d’un certificat, à l’instar du Certificat d’études de base (CEB) en fin du curriculum d’études primaires ou encore le curriculum du tronc commun qui débouche sur une certification : le certificat du tronc commun (CTC).
Les contenus d’apprentissage peuvent être soit des savoirs, des savoir-faire ou des compétences et pour chacun de ces éléments, un attendu est déterminé. Les définitions de ces éléments ont elles-mêmes un peu évolué. Les savoirs sont identifiés comme « fait ou ensemble de faits, définition, concept, théorie, modèle ou outil linguistique », les savoir-faire recouvrent « procédure, geste, technique, schéma de résolution, standardisés et automatisés par l’apprentissage et l’entrainement ». Concernant les savoirs, le commentaire des articles se montre à nouveau éclairant en précisant qu’ « il est apparu nécessaire de définir légalement un concept utilisé dans le cadre des référentiels menant à une certification à un moment donné du parcours de l’élève. L’énumération constitue une balise qui ne prétend pas à l’exhaustivité. Les faits, ensembles de faits ou les concepts et les théories peuvent également être exprimés sous la forme d’idées ou d’ensembles d’idées, par exemple. »
Ce que signifie « Différencier »
Le décret « Missions » introduisait le concept de différenciation pédagogique. Celui-ci est repris par le Code de l’Enseignement obligatoire de la manière suivante : « Art. 2.3.1-1. L’élève effectue son parcours scolaire tout au long du tronc commun de manière continue.
En mettant en œuvre des pratiques de différenciation et en pratiquant l’évaluation formative, l’école permet à chaque élève de progresser à son rythme dans l’appropriation des contenus d’apprentissage des sept domaines visés à l’article 1.4.2-3. »
Il ne faut pas voir ici dans la rédaction de l’article une automaticité du passage de classe derrière les termes « de manière continue ». Il s’agit plutôt d’une affirmation de portée générale indiquant qu’il existe bien un ordre dans lequel se parcourent les années scolaires et qu’il s’agit de mettre en œuvre des pratiques de différenciation tout en visant l’atteinte des attendus à l’échelle d’une année scolaire.
Différencier, ce n’est pas changer les objectifs d’apprentissages ou déterminer un niveau d’exigence à géométrie variable. Cette réaffirmation se trouve notamment dans la définition des pratiques de différenciation qui explicite ceci au début du Livre 2 : « les démarches qui consistent à varier les moyens, les dispositifs et les méthodes, pour amener les élèves à atteindre au minimum les attendus annuels visés dans les référentiels, en tenant compte de l’hétérogénéité des classes ainsi que de la diversité des modes et des besoins d’apprentissage des élèves. Ces pratiques comprennent la pédagogie différenciée, la remédiation, les activités de dépassement et l’accompagnement personnalisé ». Il s’agit bien de prévoir des modalités, des chemins différents, mais pas d’une modification de l’objectif d’apprentissage, ici formulé sous forme d’attendus.
Dans les cas où une différenciation temporelle au-delà d’une année scolaire serait jugée pertinente, l’équipe pédagogique pourra se positionner. Il appartiendra en effet toujours, aux professionnels de l’enseignement de se positionner au terme d’une année scolaire sur les capacités pour un élève de suivre avec fruit l’année suivante au sein du tronc commun.
L’on précisera encore, ce qui est extrait du commentaire d’article, « qu’au vu de son caractère plus incantatoire qu’opérationnel, l’interdiction du redoublement ou son contingentement ne sont pas maintenus. Les taux importants de retard scolaire démontrent l’inefficacité de cette approche. De plus, paradoxalement, la détermination d’un nombre maximal de redoublements peut créer, auprès de certains acteurs, le sentiment d’une forme de normalité, comme une jauge des possibles que l’on pourrait épuiser. L’optique dorénavant suivie à propos du redoublement est de ne l’interdire nulle part, mais de le rendre exceptionnel partout. Tout au long du tronc commun, la décision d’un maintien dans l’année en cours ne peut se décider que collégialement, au terme d’un processus balisé, selon un phasage spécifique qui peut comprendre une gradation ou un réajustement des dispositifs d’accompagnement, de même qu’un certain nombre de concertations (voir à ce propos l’article 2.3.1-7). Les écoles doivent mettre en place un accompagnement personnalisé des élèves, à trois niveaux : des pratiques de différenciation en classe, qui permettent au plus grand nombre de maîtriser les apprentissages ; des périodes spécifiques d’accompagnement personnalisé, envisagées dans les dimensions de remédiation, de consolidation et de dépassement ; le cas échéant, un accompagnement hors grille sur des problèmes d’apprentissages spécifiques, en concertation avec les familles. Ces pratiques joueront un rôle clef pour prévenir le redoublement et aider les élèves en difficultés d’apprentissage ».
Continuum ?
En guise de conclusion, penchons-nous sur ce qui est désormais un « continuum pédagogique » évoqué dans l’introduction. Le législateur le définit comme « le parcours d’apprentissage dans lequel un ensemble d’attendus annuels assurent la progression des élèves en vue d’atteindre les attendus définis au terme du tronc commun et où les apprentissages de base sont travaillés dans l’ensemble des disciplines ». Le tronc commun vise donc des visées d’apprentissages ambitieuses pour les jeunes citoyens de 15 ans et est organisé de façon à ce que chaque professionnel de l’enseignement, chaque année concoure à atteindre cette mire ambitieuse.
Le Décret adopté par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles est consultable sur http://www.pfwb.be via l’onglet “Le travail du Parlement”, rubrique “Documents et publications”.
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